Cote d'Ivoire : TEMOIGNAGE : Les habits neufs de la «République du Golf»

Publié le par lepetitjournalisteivoirien.over-blog.com

TEMOIGNAGE
Les habits neufs de la «République du Golf»
ABIDJAN (© 2012 Afriquinfos) - Célèbre pour ses poèmes, ses romans et, surtout, ses ouvrages pour la jeunesse (illustrés par elle-même), l’écrivaine ivoirienne, aujourd’hui installée en Afrique du Sud, raconte en exclusivité pour Afriquinfos son récent retour à Abidjan, qui se relève de la crise postélectorale et de la guerre. (Par Véronique Tadjo*)
Vendredi 17 février 2012 | 10:23 UTC
Les habits neufs de la «République du Golf»

Véronique Tadjo

 

 

La piscine du Golf Hôtel d’Abidjan est de nouveau ouverte au public. De 9h à 17h. L’eau est claire et rafraîchissante dans cette chaleur humide. Tout semble calme et tranquille. Cela me rappelle l’époque qui semble aujourd’hui lointaine où j’y amenais mes enfants pour jouer dans l’eau.

 

Et pourtant, c’est là que tout s’est passé, que le sort de la Côte d’Ivoire s’est joué en quelques mois. Quand les violences postélectorales après le second tour de la présidentielle du 28 novembre 2010 ont éclaté, c’est au Golf Hôtel qu’Alassane Ouattara a été obligé de se retrancher avec quelques proches et les membres de son gouvernement. Le refus de Laurent Gbagbo, le chef d’Etat sortant, d’accepter la victoire électorale de son rival politique entama un bras de fer qui se transforma vite en une politique de la terre brûlée. Protégés par les Forces des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), les caméras du monde entier braquées sur eux, Alassane Ouattara, son Premier ministre, Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion de 2002 qui divisa le pays en deux et Premier ministre également sous Gbagbo, ne pouvaient quitter les lieux, menacés qu’ils étaient par les forces fidèles à Laurent Gbagbo.

 

Leur nourriture venait de l’extérieur et ils tenaient leurs conseils de gouvernement et de guerre entre les quatre murs de cet hôtel international, rebaptisé la « République du Golf ». C’est là également que le président élu et reconnu par la communauté internationale prêta serment pour la première fois. Dehors, la guerre faisait rage. Il fallut finalement, l’intervention des Forces françaises Licorne sous mandat de l’ONUCI pour que Laurent Gbagbo soit capturé, après un bombardement de roquettes sur la résidence présidentielle dans laquelle il s’était terré lorsque ses troupes commencèrent à battre en retraite.  Et c’est tout naturellement au Golf Hôtel qu’il fut amené. Accompagné de Simone, sa femme, et de Michel, son fils, ainsi que d’une horde de collaborateurs et parents, il fut enfermé dans l’une des chambres de l’hôtel. Il n’y resta pas longtemps, mais l’image de ce président déchu, assis sur le rebord d’un lit, l’air hirsute et en maillot de corps, a fait le tour du monde.

 

Après les cris et la fureur, que reste-t-il maintenant ? Rien. Le Golf Hôtel a repris son aspect d’avant. La peinture a été refaite, l’intérieur remis au propre. Quand on entre dans le lobby climatisé, chaque chose semble à sa place, le salon feutré, la décoration anonyme et la grande baie vitrée d’où l’on peut admirer la piscine et plus loin la lagune encadrée par la haute silhouette des immeubles du Plateau, le centre-ville d’Abidjan. On se croirait n’importe où. L’histoire a disparu, l’amnésie s’est installée. Peut-être. Sauf que Guillaume Soro est toujours logé à l’hôtel, même si c’est dans la plus grande discrétion. Un soldat en uniforme est de garde devant l’entrée du couloir qui mène à ses habitations.  Des sacs de sable vers la sortie de secours indiquent également une présence militaire.

 

Quant à Alassane Ouattara, il  ne vit pas très loin. Le hasard a voulu que sa maison soit située dans le même quartier, à quelques rues du Golf Hôtel. L’ancienne résidence présidentielle étant partiellement détruite et le Palais présidentiel où l’on a retrouvé d’énormes caches d’armes du camp Gbagbo étant situé en plein centre-ville, il préfère rester chez lui.

Le besoin de tourner la page est grand. De multiples efforts sont faits pour tenter d’effacer les traces de la guerre et la manière catastrophique dont la démocratie a dû être restaurée. Mais les traumatismes sont encore vivaces et le pays reste profondément divisé.  Les fidèles de Laurent Gbagbo qui, il faut le rappeler, avaient remporté 46% des voix au premier tour de l’élection présidentielle, analysent la situation politique en termes de « vaincus » et de « vainqueurs ». A tort ou à raison, ils se sentent marginalisés. Ils craignent de ne pas pouvoir se réinsérer dans une société en pleine transition et dirigée par une élite qui souhaite repartir à zéro. Leurs ressentiments les empêchent de voir que la ville est beaucoup plus propre depuis que le ramassage des déchets fonctionne à nouveau. Ils répètent que la relance économique est un mirage et que le pays s’endette de plus en plus, malgré l’aide  financière de la communauté internationale et en particulier de la France. Ils se plaignent aussi de l’insécurité ambiante causée par les nombreuses armes en circulation, alors que la nouvelle armée, Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), n’est pas encore opérationnelle. De fortes tensions existant entre les membres des ex-forces pro-Gbagbo et ceux qui ont combattu pour le gouvernement actuel mettent en danger la stabilité. Et que dire de ces jeunes combattants aux pieds nus qui espèrent encore être insérés dans les rangs de la nouvelle armée ?

 

La jeunesse, oui, la jeunesse, la grande perdante de la guerre. Un taux de chômage très élevé et un système éducatif complètement à plat ont brisé l’avenir de toute une génération. L’université nationale est fermée depuis presque un an pour cause de reconstruction. Un autre poids pèse lourd dans la balance : la Justice. Laurent Gbagbo est aujourd’hui à la Cour pénale internationale (CPI) de la Haye où il attend d’être jugé pour crimes contre l’Humanité : meurtres, viols, actes inhumains et persécutions commis lors des violences postélectorales.

 

S’il est vrai que la CPI a évité à Alassane Ouattara la tâche difficile de juger Laurent Gbagbo sur le territoire national, son arrestation rend le processus de réconciliation plus ardu. De nombreuses organisations internationales ont dénoncé les crimes commis par les deux camps pendant la guerre civile. Des membres des forces pro-Ouattara se sont rendus  coupables d’atrocités. A quand leur jugement ?

 

Le danger, la tentation, serait de compter sur le temps et l’oubli. Mais l’impunité est une gangrène qui ronge tous les efforts de paix. La Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) lancée à grands bruits, il y a quelques mois, restera une initiative de façade si une justice équitable ne suit pas son cours. 

 

Alassane Ouattara ne doit pas seulement se présenter comme un technocrate et un économiste compétent. Il lui faut aussi être un rassembleur et un homme politique d’envergure. Quant à la nouvelle élite, sera-t-elle à la hauteur ? Il est encore bien trop tôt pour répondre. Une étape importante a été franchie avec les élections législatives du 11 décembre 2011 qui se sont tenues dans des conditions relativement bonnes, même si le taux d’abstention était élevé et que le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo, n’a pas participé au scrutin.

 

En attendant des jours meilleurs, pour les fêtes de fin d’année, les rues d’Abidjan ont été décorées de lumières magnifiques. Et dans la nuit du 31 décembre, un spectacle grandiose de feux d’artifice a illuminé le ciel de la capitale économique. Une apothéose pour tenter d’exorciser une très mauvaise année.  Chose que, de son côté, l’équipe nationale de football, « Les Eléphants », n’a pas pu faire. En perdant la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) si proche du but, les joueurs ivoiriens ont rappelé à leurs concitoyens que l’heure des festivités n’était pas encore arrivée.  Pour les consoler, le président Alassane Ouattara a déclaré sur le site officiel de la Fédération ivoirienne de football : « Essuyez vos larmes. Vous aurez plus de chance dans les prochaines échéances. Car c'est la chance qui vous a manqué cette fois-ci. »

 

*Véronique Tadjo est écrivaine et professeure à l’Université du Witwatersrand, Johannesburg, Afrique du Sud.

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